Le burn out est l’appellation anglophone, empruntée à l’origine au monde industriel aérospatial, pour désigner un syndrome d’épuisement professionnel terme que l’Académie française nous recommande d’utiliser. Mais une fois de plus les mots courts de l’anglais ont du succès.
L’Organisation Mondiale de la Santé caractérise le burn-out par un sentiment de fatigue intense, de perte de contrôle et d’incapacité à aboutir à des résultats concrets au travail.
Le concept a été créé dans les années 1970 aux Etats-Unis et notamment les travaux d’une psychologue américaine, Christine Maslach. Il a été relié au concept de stress émotionnel chronique, avec l’idée d’un excès chronique qui ne permet plus un maintien des états d’équilibre internes et qui aboutit à un état marqué par d’une part l’épuisement physique et émotionnel, d’autre part un sentiment de déshumanisation et enfin la diminution de l’efficacité professionnelle et enfin. Tout le monde est à risque de développer un jour un épuisement professionnel.
L’épuisement est à la fois psychique et physique. Le sujet dépense plus d’énergie qu’il ne peut en récupérer. Il s’installe progressivement dans un contexte de conditions de travail défavorables non seulement quand la charge de travail est quantitativement et qualitativement excessive mais aussi en plus quand la balance effort/récompense est négative, quand les marges de manœuvres sont étroites ou qu’il n’y a pas les moyens pour faire face à ce qui est demandé. Cet épuisement est un état affectif négatif pénible. Par rapport à la fatigue nous fonctionnons avec des cycles à différents échelles : il y a le cycle de la journée avec le repos du soir, le cycle de la semaine avec le repos hebdomadaire et le cycle plurimensuel ou annuel avec les vacances. Une première étape de cet épuisement est lorsque la nuit ou les seuls week-ends ne permettent plus une récupération de ce sentiment de fatigue : le sujet recommence sa journée ou sa semaine avec le même sentiment de fatigue que celle ressentie à la fin de la précédente. Ce n’est que dans un deuxième temps, lorsque l’épuisement sera devenu très profond que même les périodes de vacances ne permettent pas d’obtenir une amélioration et une récupération. C’est alors un vrai seuil d’alarme qui est franchi, notamment lorsque cela se produit même après plusieurs semaines consécutives de vacances. L’épuisement psychique inclue aussi une importante composante d’épuisement émotionnel : le sujet a l’impression de n’avoir plus les ressources psychiques pour gérer des situations émotionnelles (l’angoisse d’un patient, l’impatience d’un chef, le mécontentement d’un collègue,…). Cette impression de n’avoir plus de ressources émotionnelles peut amener à fuir l’exposition à des émotions pénibles et négatives évoquant celles de son quotidien professionnel, même dans le domaine culturel (films,..). Les sujets en épuisement professionnel évoqueront alors leur sentiment d’être vidé, d’être « rincé » émotionnellement et d’être au bout du rouleau ou sur le point de craquer.
La seconde dimension clinique est celle d’un sentiment de déshumanisation, appelé parfois dépersonnalisation (ce qui est un terme plutôt source de confusion car il a un autre sens en psychiatrie). Le sujet décrit un ressenti de détachement, d’indifférence et de cynisme vis-à-vis de ceux dont il est censé prendre soin : dans les professions de santé, nos patients, leurs familles mais aussi les collègues et les étudiants. Au départ chez un étudiant ou une jeune professionnel en santé cela peut ressembler juste à une certaine prise de distance nécessaire car à l’inverse la surimplication émotionnelle n’est pas tenable et peut constituer alors un facteur de risque par rapport à l’émergence d’un épuisement professionnel. On dira du jeune professionnel de santé qu’il « s’endurcit ». Mais petit à petit se met en place une sorte de réification du patient qui ne devient plus qu’un cas clinique, un dossier. Un observateur avisé relèvera chez le professionnel une disparition progressive des attitudes chaleureuses vis-à-vis des patients, de leur entourage ou des collègues. Ce petit quelque chose d’humain qui se manifeste au moment de se dire bonjour ou au revoir, dans ce qu’on transmet dans un sourire, dans l’envie de faire que l’échange soit agréable, dans l’attention qu’on montre à notre interlocuteur pour son embarras, sa douleur ou son désarroi ou juste pour lui simplifier la vie. Quelque chose s’assèche avec le burnout. Le cynisme peut devenir un poison insidieux qui infiltre postures et conduites.
La troisième dimension clinique est celle en rapport avec une perte des accomplissements personnels. Elle renvoie à l’amenuisement progressif du sentiment de satisfaction, à l’appauvrissement de l’épanouissement au travail. Or ces éléments-là sont très importants dans la perspective du maintien des équilibres internes au niveau psychologique comme nous les avons évoqués en introduction: l’engagement, l’abnégation, le don de soi dans le travail demandent à ce qu’en retour le sujet ait un sentiment interne de cohérence par rapport à ses valeurs, qu’il ait le sentiment de recevoir les gratifications qui vont lui faire du bien et de continuer à y être sensible (un sourire en retour d’un patient, un remerciement d’une famille, une attention d’un collègue, un compliment d’un chef, un reportage valorisant sa profession, le sentiment d’être reconnu par la société). Le sujet en épuisement professionnel a perdu la joie et la satisfaction d’avoir choisi son métier et de l’exercer.
Ces trois dimensions sont bien sûr en interactions étroites les unes avec les autres avec des phénomènes de cercles vicieux. La fatigue, et avec elle la surcharge qui l’entretient, favorise la perte de cordialité et de sensibilité dans les relations humaines de travail et cet assèchement des relations humaines va alimenter le sentiment d’insatisfaction dans les accomplissements professionnels.
Gilles Bertschy
Psychiatre
Hôpitaux universitaires et université de Strasbourg