Le 10 Avril 2020, E. Couty, médiateur national,a « rencontré » ( audioconférence) les étudiants en santé du Centre National d’Appui à la qualité de vie des étudiants en santé, pour répondre à leurs questions sur la médiation nationale .
Etudiant·e·s: Qu’est-ce que la Médiation Nationale ?
E. Couty: “Dès janvier 2017, notamment après le drame du suicide du Pr Jean Louis Megnien à l’hôpital Georges Pompidou, Mme la Ministre Marisol Touraine m’a demandé de créer un service de médiation à destination de tous les personnels des établissements hospitaliers, sociaux et médicosociaux publics. Ce service s’inscrit dans le cadre d’une stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie au travail des hospitaliers. Il concerne toute la fonction publique et toutes les personnes intervenant à l’hôpital (cela signifie donc les étudiants en stage, internes, externes, médecins, infirmiers…). Le poste de médiateur national et le service de médiation n’existait pas. Il a fallu concevoir, concerter longuement, et préparer, avec les services du ministère, un décret pour que ce service soit officiel. Ce texte a été publié au journal officiel du 30 août 2019, avec un arrêté de Mme la Ministre Agnès Buzyn fixant la charte de la médiation à l’hôpital pour tous les personnels salariés, stagiaires, étudiants des établissements sanitaires, sociaux et médicaux sociaux publics, ce qui équivaut à environ 1 400 000 personnes. Tout en préparant l’organisation et le fonctionnement de ce futur service j’ai traité de conflits impliquant exclusivement des médecins.“
Etudiant·e·s: Pouvez-vous préciser le rôle d’un médiateur ?
E. Couty: “Le médiateur n’est pas un juge, ni un inspecteur, ni un procureur, ni un conseil. Il est là pour essayer de faire que les parties en conflit arrivent à discuter et à déterminer ensemble un accord. Faire que le climat soit apaisé.
Le médiateur intervient en cas de conflit interpersonnel, entre une équipe et un chef de service, ou entre des personnes et une institution. Les conflits sociaux, les conflits collectifs ne sont pas dans la compétence du médiateur. Il y a vraiment un risque de confusion, c’est pour cela que le texte règlementaire est très clair. Le champ d’action d’un médiateur est bien délimité.”
Étudiant·e·s: Justement, qui peut saisir un médiateur ?
E. Couty: Les parties concernées, l’établissement ou l’ARS peuvent saisir un médiateur. Il est important de donner la priorité aux dispositifs locaux, qui peuvent être internes aux hôpitaux ou inter-hospitaliers. Il s’agit alors d’un dispositif de conciliation, qui permet de régler les conflits directement au sein de l’établissement. Si cela n’aboutit pas, il peut être fait appel au médiateur régional puis éventuellement au national. Il existe à l’heure actuelle dix médiateurs régionaux dont un en outre-mer. Chacun d’eux préside une instance paritaire composée de 10 personnes, avec une représentation équilibrée des différents métiers hospitaliers ou sociaux pour représenter au mieux ce milieu professionnel.
Un médiateur doit respecter plusieurs principes, définis dans la Charte de la médiation directement inspirée des recommandations européennes et de la déontologie de la médiation. Parmi ces principes, les plus importants sont à mon avis, la compétence, c’est-à-dire avoir un diplôme de médiateur (DU, certificat, master). L’indépendance: les médiateurs ne doivent pas avoir de lien hiérarchique, fonctionnel ou personnel avec l’une des parties ou l’administration locale, régionale ou nationale. La neutralité: le médiateur ne doit pas être le conseil des parties (contrairement à un conciliateur, par exemple). C’est un élément extrêmement important à respecter puisqu’il en va de la crédibilité des médiateurs. La confidentialité : tout ce qui est dit au médiateur lors des entretiens personnels est couvert par le secret. Il n’y a donc jamais de compte-rendu. En cas d’échec lors de la médiation, le médiateur dit simplement que cette dernière n’a pas abouti.
Etudiant·e·s: Comment expliquez-vous le nombre et la violence des conflits, des situations de maltraitance auxquelles on assiste dans le milieu hospitalier ?
E. Couty: “Il n’y en a pas forcément plus que dans les autres milieux. A mon avis, ce qui fait la différence, c’est que dans la plupart des autres milieux, la médiation existe depuis plusieurs années. L’hôpital va devoir apprendre à se servir de ce nouvel outil et intégrer cette nouvelle pratique. C’est une véritable évolution culturelle dans un contexte professionnel ou les différends donnent le plus souvent lieu à des affrontements. Il n’y a bien sûr pas d’obligation de résultats lorsqu’une médiation se met en place. A l’hôpital, les dossiers traités jusque-là, ont un taux de réussite équivalent à celui des autres secteurs, entre 65% et 70%.
Plus généralement, je constate qu’il y a souvent un paradoxe qui invite à la réflexion : sur le cœur de leur mission, la prise en charge des malades ou des résidents, les professionnels ont ou développent une forte empathie naturelle, l’écoute, le souci de l’autre, de la qualité de la prise en charge, que l’on soit en première ligne, ou pas, d’ailleurs. Ils le montrent de manière extraordinaire dans la crise actuelle. Par contre, dès que l’on se retrouve entre soi, qu’il s’agit de sujets de carrière, d’organisation, la relation n’est plus du tout dans l’empathie, et, si une divergence d’opinion ou un différend survient il est très difficile de revenir sur un terrain d’écoute. Essayer de rétablir le dialogue rompu, c’est le rôle d’un médiateur.”
Etudiant·e·s: Justement, pensez-vous que la formation initiale a un rôle à jouer dans l’apprentissage de cette empathie dans la relation entre les équipes? Pensez-vous que cela permettrait d’anticiper et de diminuer la violence de ces conflits?
E. Couty: “Oui tout à fait, la formation initiale mais aussi, et je le crois plus encore, la formation continue a un rôle très important pour prévenir ces conflits. Je pense qu’il y a vraiment un grand déficit à l’heure actuelle : il faut apprendre aux étudiants l’importance de la qualité des relations humaines dans une équipe: veiller au respect de l’autre, à la qualité de sa relation à l’autre. Il faut apprendre à mieux connaitre et à reconnaitre les compétences et les contraintes de l’autre qui n’a pas la même formation ni le même cursus mais dont la présence est indispensable à l’équipe. D’ailleurs, je pense que le CNA a aussi un rôle particulier dans ce domaine, avec les journées de formation des responsables d’établissements de formation, durant lesquelles j’interviens.”
Etudiant·e·s: Pensez-vous que le COVID-19 peut entraîner davantage de maltraitance et de conflits, à cause de la tension que cela engendre ?
E. Couty: “Des conflits, certainement oui. Ce que l’on vit aujourd’hui, je ne l’ai jamais connu. La dernière crise sanitaire comparable à celle-ci remonte à la grippe espagnole.
On est dans une crise d’une importance que nous n’avons jamais connue donc il est difficile de comparer. Je constate que quand on a à faire la “guerre”, on a tendance à traiter l’urgence, à travailler en oubliant les conditions, les problèmes, mais lorsque cela se termine, tout cela ressort. Il faut s’attendre à avoir des conflits qui resurgiront plus violemment et avec encore plus de frustrations, des situations de professionnels en grande difficulté du fait de stress post-traumatique ou de positionnements institutionnels délicats… Il est certain qu’il y aura beaucoup de problèmes lors du post-COVID et nous nous préparons actuellement pour que le service de médiation se mette en place rapidement et réponde à ces demandes.
Outre la médiation, il faut également penser à l’accompagnement social et psychologique des équipes, mais aussi aux problèmes administratifs et financiers (gardes d’enfants, loyer, ….). Pour le service de la médiation qui devait être opérationnel, en région, au mois de mars, nous serons en place dès la reprise normale des activités. J’ai prévu de me déplacer dans les régions ou inter régions auprès des 10 médiateurs régionaux pour tenir, avec eux et avec leurs équipes, des réunions d’information à destination des représentants des publics concernés par la médiation : les associations d’étudiants et de professionnels et les partenaires sociaux : organisations syndicales, représentants institutionnels des établissements employeurs élus et directeurs”
Etudiant·e·s: Comment préserver une certaine qualité de travail/ de vie pour les soignants pendant le COVID ?
E. Couty: “Je suis certain que l’immense majorité des responsables des services, des pôles ou des établissements hospitaliers ont conscience du fait que, dans le contexte actuel, il est souvent demandé bien au-delà de ce qui est du et que les professionnels sollicités font beaucoup plus. Ils prennent leurs responsabilités avec une grande conscience professionnelle et tout leur cœur. Cette prise de conscience des responsables doit se faire également au plus haut niveau. Elle ne peut pas seulement se traduire par le paiement d’heures supplémentaires ou une augmentation de salaire. C’est évidemment nécessaire mais très insuffisant. Cela doit aussi, et surtout, se traduire concrètement par un comportement qui exprime du respect, de la reconnaissance et de la solidarité notamment en renforçant tout notre système de santé.”
Etudiant·e·s: Pensez-vous qu’après la crise, il peut y avoir une fracture entre les soignants ayant été sur le terrain et ceux qui n’ont pas pu ?
E. Couty: “Peut-être, mais je pense que ceux qui n’ont pas été présents, sont frustrés, et regrettent de ne pas avoir été dans l’action. A titre personnel, j’ai voulu y prendre part mais je n’ai pas été sollicité…. Je n’imagine pas m’opposer à ce que ceux qui étaient au travail dans ces conditions bénéficient d’une reconnaissance particulière. De toute façon cela bénéficiera à tout le monde hospitalier et plus largement à tous les professionnels du système de santé.
Il ne peut y avoir deux discours et deux traitements différents sur le sujet de l’investissement des professionnels. Sinon ce serait tout le lien social et professionnel qui serait rompu.
Ceux qui travaillent à l’hôpital public ou dans la plupart des établissements privés, dans les établissements médicosociaux, (EHPAD, handicap) et tous les professionnels du secteur ambulatoire, médecins généralistes et paramédicaux de ville notamment, s’investissent sans relâche dans ce combat contre le virus. Il en est de même des chercheurs. Les réponses seront sans doute diverses mais elles doivent viser le même objectif.
J’espère que cette reconnaissance globale fera naître un vrai sentiment de solidarité et qu’il sera durable.
Il s’agira de reconstituer le service hospitalier, mais aussi de recréer un esprit solidaire, un sentiment d’appartenance à son équipe, ainsi qu’à son établissement. Cela va être particulièrement important.”
Remerciements à Edouard Couty, pour sa disponibilité et ces échanges.
Avec la participation de:
- Victoria Visci (FNEO)
- Manuela Carriço (ANESF)