Un diagnostic différentiel important du burn-out ou épuisement professionnel est celui de la dépression. Certes il y a des choses en commun. Dans le burn-out on rencontre des symptômes qui peuvent se rencontrer au d’un épisode dépressif comme la fatigue et la perte d’énergie, une difficulté à trouver du plaisir et de l’intérêt à ce qu’on fait au niveau professionnel ou dans sa vie privée, des difficultés à se concentrer. Mais dans le burn-out la fatigue est vraiment au premier plan et en même temps elle reste, au moins pendant les premières étapes du développement du burn-out, soulagée par les vacances (alors que le temps de coupure de la soirée et la nuit ou du repos hebdomadaire, n’arrive plus à jouer son rôle récupérateur). Cela fait la différence avec la dépression au cours de laquelle le sujet dira se retrouver avec le même sentiment de fatigue à la fin de ses vacances qu’au début.

Sur le plan psychique les mécanismes ne vont pas être les mêmes, au moins au début. Dans sa phase initiale le burn-out s’accompagne d’une lutte active sur le plan psychique avec un phénomène d’hypervigilance : le sujet essaie de faire face, de répondre à la demande qui déborde ses ressources. Il lutte. La clinique à ce stade n’est pas du côté du renoncement et de l’apathie comme elle peut l’être au cours d’un épisode dépressif. Mais si apparaissent progressivement des pensées de dévalorisation (« je ne suis pas à la hauteur », « je suis déçu de moi-même »), de culpabilité (« j’en suis là parce que je n’ai pas su m’adapter », « ma famille s’est donnée tellement de mal pour que je puisse faire ces études et je vais les décevoir »), de pessimisme (« cela ne peut qu’aller plus mal », « il n’y a pas d’issue, je suis dans l’impasse »), cela évoque le passage au stade de la dépression. En général alors l’humeur est altérée avec une tristesse plus ou moins profonde. On recherchera d’autres marqueurs symptomatiques de la dépression comme les troubles de l’appétit et du sommeil  un ralentissement psychomoteur. Pour les troubles de l’appétit, si une perte de plaisir à manger ou une perte d’appétit sont très évocateurs de la dépression, il ne faut pas oublier que la dépression peut s’accompagner d’une augmentation de l’appétit, avec un besoin plus ou moins compulsif de manger, en particulier des choses riches en sucres et graisses. De la même façon la dépression peut s’accompagner d’insomnie, notamment d’une insomnie de fin de nuit qui est particulièrement évocatrice, mais aussi d’une hypersomnie, c’est-à-dire d’un besoin de dormir plus que d’habitude. Cette hypersomnie dépressive s’accompagne d’une impression de sommeil non récupérateur, avec lourdeur et fatigue au réveil et sur ce point-là il peut être difficile de faire la différence avec la fatigue du burn-out et la perte de l’effet récupérateur du sommeil. De même le ralentissement psychomoteur de la dépression peut être difficile à distinguer de l’expression d’une fatigue extrême de l’épuisement professionnel. Ce ralentissement psychique (penser lentement, avoir un temps de latence inhabituel dans ses réponses au cours d’une conversation, avoir de la peine à prendre des décisions de façon fluide) et moteur (expression figée du visage, discours ralenti avec une voix monocorde, gestes et actions lents) est à la fois un ressenti subjectif mais aussi un constat objectif que peut faire le clinicien mais aussi l’entourage et notamment l’entourage professionnel.

On voit donc que la différentiation du burn-out et de la dépression est possible mais nuancée. Surtout le passage du burn-out à la dépression est fréquent. Il se fait en général progressivement et insidieusement (comme le processus du burn-out lui-même) mais parfois la bascule est brutale : quelque chose « craque » brutalement, souvent avec une symptomatologie anxieuse aigue. La dépression peut donc être une complication de l’épuisement professionnel, qui survient parfois mais pas toujours sur un terrain prédisposé, alors que d’autres développerons des addictions (aux substances ou au jeu) ou des troubles somatiques comme par exemple des troubles cardio-vasculaires ou liés à une atteinte de leur système immunitaire, en fonction de leur facteurs prédisposants.

Le passage du burn-out vers la dépression doit en particulier rendre particulièrement attentif  au risque de suicide qui constitue lui-même la complication la plus dramatique de la dépression. Le glissement vers le suicide se fait en général progressivement, en pointillés (le sujet y pense, écarte et repousse, y revient, par touches successives) mais parfois aussi brutalement, dans un moment où soudainement tout s’effondre. L’épuisement professionnel est alors un facteur aggravant du risque suicidaire parce qu’il favorise le manque de lucidité qui peut jouer un rôle déterminant dans le choix de la solution suicide plutôt que d’autres solutions mais aussi parce qu’il aura sapé un des appuis et points de repères importants dans la vie de chacun.

Enfin pour terminer sur cette question des liens entre burn-out et dépression, il convient d’évoquer aussi une question de choix de termes dans le langage courant qui ajoute à la confusion. Même si la dépression est moins stigmatisée qu’elle ne l’était, elle reste difficile à avouer et à assumer. Le burn-out bénéficie d’une meilleure image, préservant mieux l’estime de soi. Si on a « fait un burn-out » pour reprendre une expression fréquente », c’est peut-être qu’on a été victime de circonstances défavorables, on se représente que c’est mieux que d’avoir « fait une dépression ». De ce fait beaucoup de personnes vont préférer utiliser le terme burn-out plutôt que dépression chaque fois qu’une interaction avec leur contexte professionnel et d’études facilite ce glissement sémantique. C’est humainement bien compréhensible mais cela contribue un peu à compliquer la discussion sur ces questions sensibles.

Gilles Bertschy

Psychiatre

Hôpitaux universitaires et université de Strasbourg

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