Interview du Professeur Pierre-André Michaud du 25 mai 2020 : Professeur honoraire à la Faculté de biologie et de médecine, Université de Lausanne ; Consultant en santé de l’adolescent et santé scolaire ; Vice-Président de la commission d’éthique de la recherche biomédicale du canton de Vaud ; Membre du comité scientifique du CNA.
Le CNA : Pouvez-vous nous dire en quelques mots quel est votre environnement professionnel ?
PIERRE-ANDRÉ MICHAUD : J’ai été sept ans vice-doyen en charge de l’enseignement à la Faculté de Biologie et de Médecine de l’Université de Lausanne, et donc en contact étroit avec les étudiants, une activité que j’ai beaucoup appréciée, aussi en tant que Professeur de médecine et santé des adolescents. Durant cette période, j’ai eu notamment l’occasion d’aborder des méthodes pédagogiques nouvelles, et d’introduire dans le cursus de formation des modules relatifs à la médecine de famille, à l’inter-professionnalité et aux médecine complémentaires, en étroite collaboration avec les directions des écoles de soins infirmiers, de physiothérapeute et de sage-femmes.
CNA : Pouvez-vous nous en dire plus ?
PIERRE-ANDRÉ MICHAUD : Il y a, dans l’évolution de la médecine et des soins des tendances lourdes dont les curriculums de formation doivent s‘inspirer : les trois les plus importantes à mes yeux sont la nécessité de garder les patients au centre des processus de soins, malgré les avances technologiques (par exemple en robotique, en imagerie et en génétique, en intelligence artificielle). A cet égard, je souhaite ardemment qu’on abandonne le terme galvaudé de médecine personnalisée, appliqué à l’utilisation de la génétique dans le choix des traitements, et que l’on parle de médecine de précision. La médecine personnalisée, c’est celles de tous les praticiens qui s’occupent d’êtres humains. Une deuxième tendance lourde, notamment en ce qui concerne les études de médecine, c’est l’intégration horizontale et verticale des disciplines, une intégration qui donne du sens aux pratiques quotidiennes : intégration des sciences fondamentales et cliniques, intégration des disciplines de spécialité. Ceci m’amène à une troisième tendance, celle de l’inter-professionnalité, qui doit être inculquée et pratiquée dès le début des études. Les expériences menées à Lausanne montrent que les sessions partagées entre étudiant-e-s en soins infirmiers, en physiothérapie, élèves sages-femmes et futurs médecins sont riches de sens, utiles, productives, et peut-être source de bien-être !
CNA : vous avez mentionné des avancées pédagogiques ? Pouvez-vous vous en préciser quelques-unes ?
PIERRE-ANDRÉ MICHAUD : Les curriculums de formation sont encore trop souvent théoriques. Nos collègues néerlandais ont développé le concept des EPAS, les « Entrustable Professional Activities », soit, dans les activités de formation, une centration sur des tâches cliniques concrètes, observables, intégrant diverses formes de compétences, et dont le déroulement est progressivement appris jusqu’à l’acquisition d’une bonne autonomie dans leur réalisation ((Ten Cate, J Grad Med Educ. 2013, 5(1): 157–15). Je pense d’ailleurs que la question de l’autonomie est fortement liée à celle du bien-être : trop d’étudiants ne parviennent pas, même en fin de cursus, à se sentir à l’aise dans l’exécution des tâches qui leur incombent. Ce sentiment s’insécurité est source de stress et parfois d’angoisse. Le concept d’EPA rejoint d’ailleurs deux autres aspects de la pédagogie qui me semblent essentiels : celui de la participation active des étudiants, à travers des activités créatives comme la discussion de cas concrets, la rédaction d’observations cliniques, les échanges en groupe autour de questions psychosociales ou éthiques. D’où l’importance pour les maîtres et mentors de déplacer le cursus du « teaching » (enseigner) vers le « learning » (apprendre). Par analogie, si on parle des soins centrés sur le patient, on doit aussi parler d’activités de formation centrées sur l’apprenant !
CNA : Avez-vous des réflexions à partager concernant la promotion du bien-être des étudiants ?
PIERRE-ANDRÉ MICHAUD : Je salue l’initiative de la CNS dans ce domaine. Nous savons qu’en Suisse comme en France, le stress, la dépression et l’épuisement professionnel sont en augmentation chez les soignants. Il y a plusieurs remèdes à cela, dont les clefs sont bien souvent détenues par les enseignants ! D’abord, j’ai l’impression que passablement d’étudiants abandonnent en cours de formation une part de leur motivation. C’est probablement fortement lié à une perte de sens. Les étudiants, et même tous les soignants, ont besoin de trouver un sens à leur activité, et il faut leur donner l’occasion d’y réfléchir. Comme tout être humain, les étudiants ont besoin d’une reconnaissance de leur travail, et la manière – par exemple – de commenter leur progression, d’une façon critique, mais empathique et positive, est à cet égard essentielle. Trois démarches concrètes peuvent contribuer au bien-être des étudiants. D’abord, leur participation à la vie de la Faculté, une écoute constante et active de leurs propositions et leurs critiques, à travers des procédures bien identifiées. Les activités de peer-support, d’entraide doivent être soutenues et valorisées. Ensuite, importante est l’inclusion dans les cursus de formation d’une réflexion et d’un apprentissage à l’autoévaluation, notamment à l’exploration des prémices d’épuisement, de la manière de les prévenir, de les détecter et d’y répondre. La période précédant les examens est particulièrement propice à une telle introspection. Enfin, il est important que les autorités facultaires mettent en place des stratégies appropriées, confidentielles et accessibles d’identification des étudiants en grande souffrance psychique et de la manière de leur venir en aide. Laisser des jeunes en formation à la dérive est un terrible gâchis à l’échelon des individus et aussi de la société.
CNA : le mot de la fin ?
PIERRE-ANDRÉ MICHAUD : Que les instances facultaires dans tous les milieux de soins soient conscients de la richesse potentielle que constituent les étudiants et de leur énorme responsabilité face à eux. Qu’ils réfléchissent à adapter les cursus de formation à l’évolution de la société et des jeunes, à garder à l’esprit le fait qu’ils constituent des modèles, des relais d’expériences et à leur insuffler un optimisme critique face à l’avenir.
Tous nos remerciements au Professeur Pierre-André Michaud pour cet échange.