Le 11 avril 2020, entrevue avec le professeur Jean-Yves Frappier, membre du comité scientifique du CNA, Directeur du département de Pédiatrie de l’université de Montréal et chef du département de pédiatrie au CHU Sainte-Justine à Montréal.

Etudiant·e·s : En l’état actuel de la crise sanitaire, de nouveaux dispositifs ont-ils été mis en place pour les étudiants ? Comment se gère cette crise au Québec?

Pr. Jean-Yves Frappier :Ici au Québec, les mesures contre la pandémie ont débuté le 12 mars. Le gouvernement s’est très vite mobilisé. Tous les jours, des conférences de presse en trio avec le premier ministre, la Ministre de la santé et le Directeur général de la santé publique sont tenues pour informer et rassurer la population. Tout est bien expliqué, et même parfois avec humour pour renforcer les messages !

Les universités se sont réorganisées en une semaine pour la reprise des cours en virtuel. Pour le reste des écoles primaires et secondaires, cela a mis plus de temps. Les externes ont arrêté les stages en milieu hospitalier le 12 mars, comme tous les étudiants universitaires en santé, les étudiantes infirmières. …. Comme ils sont d’abord des enseignés, même si en stages cliniques, ils doivent suivre les directives universitaires et gouvernementales ; de plus, les externes posaient problème dans les équipes pour la distanciation physique. Les externes peuvent être formés pour répondre sur les lignes téléphoniques de dépistage.

Les internes restent, eux, dans les hôpitaux. Nous essayons de les laisser dans les stages où ils étaient avant la pandémie, par contre ils peuvent être réquisitionnés selon la demande des hôpitaux, par exemple en soins intensifs ou aux urgences si trop surchargés. Les stages en région sont annulés car les internes y sont seuls.

Montréal est la ville la plus touchée de la province. Des régions limitrophes de Montréal ont donc été fermées à la circulation pour les non-habitants afin de les préserver.

Les gens, en général, suivent bien les directives.

Le gouvernement avait débloqué 1100 lits, dont 600 lits mis à disposition en soins intensifs (400 occupés actuellement) et 500 lits dans les centres hospitaliers (300 occupés actuellement).

Le système s’est donc bien organisé. Les difficultés, comme en France, se trouvent au niveau des EHPAD. C’est assez catastrophique et ils manquent de matériel de protection et d’organisation. Près de 80% de nos décès ont lieu dans nos EHPAD, qui sont fermés à toutes visites à présent.

Côté masque, il y a eu beaucoup d’anxiété ; mais le stock commence à arriver. Des masques lavables en tissu réutilisables sont utilisés dans les aires communes. Nous recyclons les masques N95 (NDRL: équivalent masque FFP2) jusqu’à 5 fois actuellement. Ils sont utilisés pour toutes les procédures où il y a aérosolisations.

Beaucoup d’activités sont réalisées pour la gestion du stress, de l’anxiété… Le système provincial d’aide aux médecins (programme d’aide aux médecins du Québec) a été réorienté pour aider les soignants, particulièrement en unités covid.»

Étudiant.e.s : Vous évoquiez le système de gestion du stress mis en place dans cette situation. De manière générale, comment est-il organisé hors période covid ?

Pr. Jean-Yves Frappier : “Pour les médecins, il y a des mesures en place pour la gestion du stress. Dès le moment où l’on voit qu’il y a des difficultés, le confrère est adressé au PAMQ (Programme d’Aide aux Médecins du Québec) qui pourra offrir ses services (problèmes de stress, toxicomanie…). Dans l’hôpital, il y a une structure pour l’accompagnement et la gestion des équipes par une psychologue, un système de médecins pairs aidants, et un système de consultations possibles pour tous les professionnels. A l’Hôpital Sainte Justine, la bienveillance a été intégrée dans le quotidien en corollaire à la gestion du stress, avec des journées de formations et de discussions sur ces sujets pour limiter la génération de                                      stress.”

Dr. Donata Marra : Le PAMQ avait communiqué sur une augmentation des demandes des médecins et internes au PAMQ. Qu’en est-il pour les autres professionnels en santé ? Les problèmes sont-ils proches entre le Québec et la France ?

Pr. Jean-Yves Frappier : “Je pense que les gens au travail sont souvent frustrés parce qu’ils veulent toujours faire mieux. Un dicton dit : Quand on se regarde, on se désole. Quand on se compare, on se console ! Mais il y a eu des coupures budgétaires, des réorganisations administratives, comme en France, le tout générant du stress, des déceptions et parfois le sentiment de ne pas pouvoir bien travailler. Donc, comme pour les médecins, il y a des difficultés chez les professionnels. Parfois, ce sera une équipe ou une unité qui éprouvera des difficultés ; toutefois, comme mentionné précédemment, il y a une structure pour soutenir dans ces situations.

Il y a un manque d’infirmières au Québec, donc les infirmières peuvent facilement trouver un travail plus près de leur domicile et la pénurie est particulière à Montréal, étant donné qu’il y a énormément de travaux routiers, et y circuler prend un temps fou. Comme il y a pénurie, il y a obligation de demeurer au travail en temps supplémentaire, donc frustration, départ pour un autre milieu plus près du domicile et des départs à la retraite. De plus, les coupures budgétaires ont généré du stress, avec une augmentation du nombre de patients par infirmière, ce qui a démotivé des infirmières. Des gestionnaires au ministère et des cadres dans les hôpitaux ont à présent la tâche d’évaluer si le travail est gérable ou non pour les infirmières, ce qui permet d’ouvrir un peu plus le dialogue pour limiter le stress et les départs plus hâtifs à la retraite. ”

Dr. Donata Marra : Ces difficultés sont-elles à l’origine d’un glissement des tâches des soignants séniors ou des secrétariats par exemple vers les étudiants ?

Pr. Jean-Yves Frappier : “Il y a moins de secrétaires et de personnels de manière générale. Les infirmières ont donc parfois des tâches qui ne sont pas de leur ressort. Avec les étudiants et les internes, le système est très contrôlé. Si l’étudiant ou l’interne fait une tâche qui ne lui est pas attribuée, il peut le noter dans son évaluation du stage et nous sommes tenus de répondre à ce glissement de tâches. Le directeur de département reçoit l’évaluation des stages annuellement et s’il y a problème, la faculté le note et il doit y répondre ; c’est ce que l’on appelle un “commentaire flag rouge”. Le directeur reçoit aussi annuellement les évaluations des professeurs/encadrants par les externes et internes. Si dans les commentaires il est dit que les missions relevant du niveau de l’étudiant ou de l’interne ne sont pas respectées, il faudra le justifier et en répondre à la doyenne, y compris s’il s’agit de cas de harcèlements. De plus, les organismes d’agrément vont questionner les externes et internes à ce sujet.”

Étudiant.e.s : Par qui ces évaluations sont organisées ? Comment sont-elles coordonnées ?

Pr. Jean-Yves Frappier : “Il y a des formulaires à compléter par les externes et les internes, à tous les mois, évaluant leurs professeurs/encadrants. Une fois par an, ils évaluent les stages. C’est la direction de l’enseignement (une entité hospitalo-universitaire) de chacun des centres hospitaliers ou la faculté par son bureau d’évaluation qui fait compléter ces formulaires. La faculté les collige et nous fait parvenir annuellement une évaluation globale par les externes du professeur/encadrant et une par les internes, avec une partie quantitative sur environ 10 critères (comparée à la moyenne des professeurs/encadrant) et une autre avec la liste des commentaires des enseignés.”

Étudiant.e.s : Ces évaluations sont-elles anonymes ?

Pr. Jean-Yves Frappier : “Elles sont anonymes effectivement. L’évaluation, en général sur 2 pages, collige les évaluations quantitatives des externes que ce professeur/encadrant a supervisé durant une année, et les commentaires numérotés, pas nominalisés. Également, le nom du professeur n’apparaît pas sur l’évaluation, seulement un code. Seuls les directeurs de départements et les vice-doyens peuvent décoder. Évidemment, le professeur/encadrant reçoit son évaluation du bureau d’évaluation de la faculté. Pour les cas de harcèlement, il y a un bureau à l’université et des procédures strictes à cet effet. A l’arrivée, les internes reçoivent un guide qui leur explique la conduite à tenir en cas de problème de harcèlement ou autre et à qui s’adresser.

Le gouvernement exige que tous les professeurs/encadrants aient une formation sur le harcèlement. Ils doivent suivre un tutoriel internet de 2h et un atelier organisé par le bureau contre le harcèlement.

Les étudiants peuvent donc se plaindre à plusieurs personnes à ce sujet.”

Mme Véronique Lecointe : Vous avez évoqué un organisme d’agrément de validation. De quel type d’organisme s’agit-il et qui le compose ?

Pr. Jean-Yves Frappier : “L’organisme d’agrément est le collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. Il agrée tous les programmes de résidence de l’internat, soit plus de 80 programmes de formation.

Sur un cycle de 6 ans, ils font des visites d’agréments avec des professeurs/encadrants d’autres universités canadiennes. Un interne fait également partie de ces visites. Un rapport est préparé un an à l’avance par le programme, soit plus de 100 pages de document à compléter. Sur place, les évaluateurs rencontrent les internes, les juniors, les seniors, le directeur du programme et du département ainsi que les professeurs/encadrants de la discipline. Puis, ils revoient le directeur du programme pour faire un retour. S’il y a des lacunes, les directeurs de programmes doivent proposer des solutions. Il peut y avoir retrait du programme, revisite deux ans plus tard pour vérifier les correctifs, etc.

Il y a également l’agrément des hôpitaux qui est fait par un organisme canadien indépendant. Mais cet organisme ne vise pas le corps médical mais il touche tout de même à l’organisation des soins, la gestion de la pharmacie, etc.

Pour revenir sur les situations difficiles, en ce qui concernela gestion du stress ou autres difficultés, en médecine, il y a un bureau d’aide aux étudiants et des professeurs/encadrants sont formés pour soutenir les étudiants qui auraient besoin d’aide ou les référer. L’association étudiante a aussi son propre bureau d’aide aux étudiants.

En pharmacie et sciences infirmières, des interventions sont aussi proposées. Il y a également des professeurs/encadrants qui sont identifiés sur leur cadre de porte comme aidants et que les étudiants peuvent consulter au choix.

Malgré toutes ces mesures, nos étudiants ont tout de même des difficultés. Il y a eu un suicide il y a quelques années ; mais globalement même si un seul est un de trop, il y en a peu. La faculté de médecine a pris ceci très au sérieux et a revu ses procédures.

Maintenant, pour avoir l’agrément du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, il faut expliquer quelles activités « bien-être » sont proposées pour les étudiants et les internes ; une journée plein air, une journée retraite, etc.”

Dr. Donata Marra : Depuis la création de ces structures, y a-t-il moins de situations de harcèlement et de maltraitance ?

Dr. Jean-Yves Frappier : “Oui, mais c’est une question de culture qui se développe progressivement. Il faut rester vigilant. Le sujet est discuté, plus ouvert. Par exemple, en ce moment, j’ai prévu d’envoyer des lettres à quelques professeurs/encadrants; en effet, quelques étudiants nous ont fait part de remarques condescendantes de leur professeur/encadrant, parfois devant les autres, ou encore que l’enseignement n ‘était pas à la hauteur attendue. Je vais aviser le professeur/encadrant qu’un tel comportement n’est pas acceptable.

Si ce type de situations se répète, il est prévu d’interdire l’accès aux enseignés à l’enseignant ! Une discussion a lieu avec le vice-doyen, et pour poursuivre avec des enseignés, l’enseignant devra soit suivre des formations, réfléchir et discuter de changement de comportement, etc.

Il y aura encore du harcèlement, de l’intimidation… Si on pose la question, on découvre, si on ne questionne pas, c’est caché.

J’ajouterais pour le bien-être et la collégialité entre professeurs/encadrants et étudiants qu’il y a plusieurs activités qui y contribuent : invitations au restaurant de la part des médecins à tous leurs internes dans les plus petits programmes, lunch pour les nouveaux internes avec le comité de programme de l’internat, soirée homard pour les internes et les patrons. Il y a une célébration commune de fin d’internat par programme ou département où les internes sont invités et les finissants avec leurs familles, avec diner ! Nous avons la fête de Noel avec des traditions de mimes, quizz sur les professeurs /encadrants et leur « travers, manies… », dans la bonne humeur… Tout ceci contribue à créer un lien qui participe à la prévention des problèmes et une meilleure QVES”

Dr. Donata Marra : Les étudiants se sentent donc suffisamment sécurisés pour rapporter des difficultés avec des enseignants ? La possibilité de signaler anonymement ces problèmes est-elle une aide ? Etait-ce semblable lorsque vous étiez étudiant ?

Pr. Jean-Yves Frappier : “A l’heure actuelle c’est différent. L’anonymat aide, mais le changement de culture joue un rôle également.

De plus en plus, le message aux professionnels est qu’ils n’ont pas à accepter un collègue exécrable, même s’il est un excellent praticien. Il faut que cela soit dit et à présent, les étudiants eux-mêmes le disent à leurs collègues.

Les professeurs/encadrants ont accès à leur propre évaluation s’ils ont au moins 4 externes ou internes qui les ont évalués. Par exemple, en médecine de l’Adolescence, il n’y a qu’un interne qui a choisi cette discipline dans notre milieu. Je n’ai donc pas accès à son évaluation. Par contre, l’interne siège au comité du programme d’internat en médecine de l’Adolescence, une des spécialités pédiatriques et donne son avis sur le programme et les professeurs/encadrants au besoin. En pédiatrie générale, un plus gros programme avec 35 internes, le comité siège 4 à 5 fois par an et comporte toujours au moins 3 internes, avec un temps de parole qui leur est réservé et ils peuvent y faire remonter les difficultés avec un enseignant.”

Dr. Donata Marra : Y a-t-il eu un événement, une situation particulière qui aurait facilité la prise de parole ?

Pr. Jean-Yves Frappier : “Il n’y a pas eu de moment clé.C’est arrivé progressivement à force de gens qui ont commencé à en parler : des étudiants, mais aussi des professeurs/encadrants. Par exemple pour les horaires de garde exagérés, il y a eu des plaintes, des enquêtes et cela s’est réglé par une convention collective des internes qui précisait de ne pas dépasser un certain nombre de gardes par mois. Aussi, les facultés ont toujours eu pour devoir de faire respecter l’apprentissage, ce qui est le cas pour les externes et les internes.”

Dr. Donata Marra : Votre système hospitalier n’a-t-il pas été en difficulté lorsque vous avez mis ces limites ?

Pr. Jean-Yves Frappier : “Le système n’a pas été en difficulté parce qu’Ici, l’interne est considéré aussi comme un apprenant, même s’il est payé pour faire des gardes également.

Actuellement, dans la crise COVID, il est possible de le déplacer de stage selon les besoins; mais son statut d’apprenant est conservé, on doit voir à poursuivre un enseignement.

Habituellement, les services se débrouillent pour que le nombre de gardes ne dépasse pas 4-6 par mois. Ainsi, l’étudiant conserve une bonne part de temps à l’apprentissage. L’apprentissage est règlementé, organisé. Il répond à des critères qui doivent être respectés. Aussi, dans une certaine mesure et depuis longtemps, l’étudiant est « roi », il a un pouvoir important contre-balançant celui du professeur/encadrant.

En contrepartie, les étudiants sont de bonne volonté et sont prêts au compromis au besoin.

Si ces règles ne sont pas respectées, l’agrément auprès du Collège royal peut être perdu. C’est la force de ce système. Cela s’est mis en place malgré tout lentement.

Étudiant.e.s : Y-a-il des unités d’enseignements qui reprennent ces objectifs (empathie, comment former un étudiant, gestion du stress…) ? Comment cela se passe-t-il ?

Pr Jean-Yves Frappier : “En médecine, l’une des premières choses à laquelle les étudiants sont sensibilisés est la gestion du stress et des ressources sont proposées par le bureau d’aide aux étudiants et les associations des étudiants en médecine. Ensuite, en 1ère année, ils ont une journée par semaine dans les hôpitaux pour apprendre à faire une anamnèse et examen physique, mais aussi faire face à un patient difficile, donc l’apprentissage de ce qu’est un patient, la gestion de l’empathie…

Dès la 1ère année, il y a un enseignement théorique sur la multidisciplinarité/ interprofessionnalité qui va se poursuivre jusqu’à l’internat. Puis les étudiants travaillent en groupe par exemple, avec un étudiant nutritionniste, une infirmière, un psychologue, une intervenante sociale… Ils vont apprendre ce que fait l’un et l’autre.

En 2ème année, un cas clinique est donné au groupe pour voir comment il est possible de travailler ensemble pour un même patient.

A l’externat, ils sont à l’hôpital avec des réunions multidisciplinaires. Les internes eux seront d’ailleurs évalués sur l’organisation et le déroulement de l’une de ces réunions.

La plus grande partie de l’apprentissage pour les externes se fait en clinique et ils sont suivis « pas à pas ». Mais les externes sont à l’université tous les 3 mois, une semaine, pour des cours sur divers thèmes (sécurité, éthique, gestion de leur stress ..). Ils ont des activités de simulation au centre d’apprentissage des attitudes et habiletés cliniques avec des situations difficiles.

Il y a beaucoup d’activités de soutien et développement pour les étudiants, de la première année jusqu’à leur internat. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de stress, mais nous y prêtons attention.”

Dr. Donata Marra : Avez-vous des étudiants qui redoublent leur année ou qui décrochent et quittent la formation ?

Pr. Jean-Yves Frappier : « Cela n’arrive pas souvent mais il y en a peut-être 1 ou 2 que l’on signale à la doyenne afin de discuter de leur redoublement, des aides à apporter ou de leur exclusion … 

Les deux premières années, l’apprentissage par problème (APP)se fait en petits groupes. Si un étudiant est absent à 2 reprises, les enseignants font remonter l’information; chaque absence doit être justifiée. Si l’étudiant rencontre des difficultés, on le réfère au bureau d’aide aux étudiants. L’étudiant est évalué par le tuteur de son groupe APP à mi tutorial et à la fin, donc deux fois par 4-6 semaines. Donc, les étudiants sont suivis de près.

Il y a très peu d’étudiants qui quittent la formation : 1 à 5 par promotion, et ensuite en général, plus du tout pendant l’internat. »

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Dr. Donata Marra : Lorsqu’un étudiant souhaite faire une césure, doit-il rencontrer un enseignant du bureau d’aide aux étudiants pour évaluer la présence d’éventuelles difficultés ?

Pr. Jean-Yves Frappier : « Cela est fortement recommandé.»

Pr. Gilles Bertschy : J’ai fait une partie de ma carrière en Suisse à Lausanne et à Genève. Je connais peu le système canadien, mais cela me rappelle le pragmatisme qu’il y a en Suisse. J’y ai travaillé avec Pierre-André MICHAUD. Les choses sont plus claires lorsqu’il y a des problèmes. On peut les collecter. Il y a des évaluations. Si elles sont non conformes, on corrige pour améliorer. Ceci est peu le cas en France où les études sont plus élitistes.

Pr Jean-Yves Frappier : “La Suisse, surtout à Lausanne, est très connectée avec le Québec.

Il y a un système beaucoup plus proche de ce qui se fait chez nous où l’élitisme n’est plus présent, contrairement aux années 30-40. La révolution tranquille de 1960 au Québec a abouti à une remise en cause et une démocratisation de l’enseignement. Tout a été réformé du primaire à l’université !

Puis, les problèmes ont été discutés progressivement, et des modifications ont été mises en place à partir des résultats de plusieurs études. Malgré tout, il y a encore partout des problèmes.

C’est pourquoi à l’université, vous verrez des affiches sur les murs au sujet du harcèlement et des problèmes de santé mentale avec des informations et numéros d’aide.

Tout cela est de plus en plus présent, c’est un changement de culture.”

Dr. Donata Marra : Depuis le début de votre carrière l’évolution de la sélection à l’entrée en médecine a évolué. Qu’en déduisez-vous ?

Quelle formation faut-il avoir pour s’occuper d’étudiants au Québec ?

Pr. Jean-Yves Frappier : “Le futur enseignant doit suivre une formation sur 5 ans, comment enseigner, comment faire un feed back, etc., totalisant environ 5 jours. La faculté recense depuis 2 ans le nom des professeurs/encadrants qui ont suivi les formations demandées et remet au directeur de département la liste des cours suivis par le professeur/encadrant. Cette exigence est à présent dans l’offre de recrutement de plusieurs professeurs/encadrants.

Il y a plusieurs décennies, il y avait de l’élitisme avec une prise en compte des notes les plus élevées, des étudiants de collèges très réputés… Il y avait également peu de demandes pour entrer en médecine.

Par la suite, le nombre des demandes a bondi. Il y a eu des tests, jumelés aux notes. Ensuite, nous avons développé des entrevues individuelles et de groupes sur des problématiques. A présent, il s’agit de quelques stations de type ECOS sur des problématiques qui touchent plus aux attitudes de l’étudiant. Ce sont les mêmes ECOS au Québec, mais chaque faculté y met sa pondération avec les notes pour faire une sélection pour l’entrée en médecine. 300 étudiants sont accueillis en faculté de médecine à Montréal pour 2500 demandes.

Dr. Donata Marra : Avez-vous des étudiants déçus de ne pas être admis en médecine ? Comment se fait le choix de la spécialité médicale ?

Pr. Jean-Yves Frappier : “Des étudiants sont en effet déçus, quelques rares étudiants se présentent avec leur avocat. Un étudiant refusé décidera parfois de faire un Bac (NDRL : licence) ou une maîtrise-Msc (NDRL : master). Bien réussie, il pourra refaire une demande d’admission en médecine. Ce sont environ 30% des étudiants en médecine qui proviennent des Bac ou MSc, pourcentage fixé par la faculté.

En 4ème année, un externe peut décider de sa spécialisation et faire une demande dans n’importe quelle spécialité et service au niveau canadien (CARMS). C’est un organisme indépendant qui gère toutes les demandes en spécialisation. Par exemple, si l’étudiant demande la pédiatrie dans tel milieu et la psychiatrie dans tel autre milieu ou province par exemple, alors il devra faire une double demande.

L’étudiant soumet son dossier, avec ses évaluations, sur la plateforme dédiée. L’étudiant sollicitera également une évaluation de professeurs/encadrants qui l’ont supervisé pendant son externat et qui complètera le dossier.

Le futur interne est ensuite reçu sur entrevue. Les milieux de stage classent alors les futurs internes qu’ils désirent en fonction des évaluations à leur disposition.

L’annonce des internes acceptés dans les milieux de stages se fait en même temps, dans tout le Canada. L’étudiant a trois jours pour décider de son lieu d’affectation, car il a pu demander plusieurs milieux de stage pour son internat.”

Etudiant.es : Quels sont les critères pour sélectionner les candidats ?

Pr. Jean-Yves Frappier : “En tout premier lieu, c’est le directeur de programme d’internat de la discipline qui reçoit l’étudiant en entrevue, avec des collègues. Il n’y a pas de grille d’évaluation, mais il y a un comité d’admission, en général composé de 3 personnes pour les petits programmes de quelques internes, beaucoup plus dans les gros programmes. Nous prenons en compte les notes du dossier scolaire. Nous allons également nous appuyer sur la crédibilité et la fiabilité des spécialistes qui l’ont évalué ou qui ont soumis une lettre de référence. Nous avons également accès à 13 évaluations par an sur deux ans en tant qu’externe, concernant leurs connaissances et aptitudes. Cela permet que ce soit plus fiable, et les évaluations proviennent de différents hôpitaux. Le tout est discuté en comité. Malgré tout, il peut y avoir des difficultés, y compris avec ce système.”

Étudiant.e.s : Existe-t-il des dispositifs particuliers pour l’encadrement des internes, notamment pour les futurs médecins de famille lors de leur stage en médecine rurale ?

Pr. Jean-Yves Frappier : « Partout au Québec, les futurs médecins de famille sont dans des unités spécifiques de formation en médecine familiale, dans lesquelles des professeurs/encadrants sont formés. L’encadrement est le même partout. Par exemple, lors des consultations, certaines entrevues sont filmées, puis visionnées par l’interne et son professeur/encadrant. Ils ont également leurs cliniques de suivi tous les mardis après-midi avec une supervision.

Ils peuvent parfois faire des stages dans des cabinets de villes ou encore dans une clinique ou un petit hôpital en milieu rural, ce qui représente une petite partie de leur apprentissage. Les médecins de ces cliniques doivent les évaluer et l’interne évalue le milieu de stage. Ils feront également des stages en pédiatrie ou en spécialités. Il s’agit parfois même de réaliser des stages longitudinaux, sur plusieurs mois avec différentes disciplines, sous un format de stage couplé. »

Remerciements au professeur Jean-Yves Frappier pour son temps et ces précieux échanges.

Avec la participation de:

Pr. Gilles BERTSCHY, Psychiatrie Strasbourg, CNA

Morgan CAILLAULT, Premier VP ISNAR-IMG Interne de Médecine Générale

Pr. Anne-Marie MAGNIER, Médecine Générale, CNA

Dr. Donata MARRA, Présidente du CNA

Victoria VISCI, FNEO Orthophonie

Manuela CARRICO ANESF, Etudiante Sage-Femme, CNA

Nina RANJIT, Secrétaire Générale de la FNSIP-BM

Véronique LECOINTE, Sage-femme, présidente de la CNEMA, CNA

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